“Les contraintes motivent l’automatisation”
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René De Koster, professeur de logistique et de gestion des opérations à la Rotterdam School of Management, Université Erasmus de Rotterdam, Pays-Bas
À propos de l’expertRené De Koster (Heinkenszand, Pays-Bas, 1958) est professeur de logistique et de gestion des opérations à la Rotterdam School of Management (RSM) de l’Université Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas. De Koster est un pionnier dans l’analyse de la manutention et dirige le département de technologie et de gestion des opérations de la RSM. Il a publié des centaines d’articles dans des revues universitaires de premier plan. Il a été nommé « chercheur le plus influent » dans le domaine de la manutention. Ses recherches portent sur le stockage, la manutention, les opérations dans les terminaux à conteneurs, la gestion comportementale des opérations et la durabilité en logistique.
Mecalux s’est entretenu avec René De Koster, professeur de logistique et de gestion des opérations à la Rotterdam School of Management (RSM) de l’Université Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas), pour analyser l’avenir des entrepôts et discuter sur l’automatisation en tant que solution pour atteindre la performance logistique.
Quelles conclusions tirez-vous de vos recherches sur le stockage ?
Lorsque j’ai commencé mes recherches dans le domaine du stockage il y a 25 ans, il n’existait quasiment aucune étude sur la manutention. La seule exception étant les systèmes automatisés de stockage et de récupération (AS/RS), c’est-à-dire les entrepôts équipés de transstockeurs. Depuis, les progrès ont été remarquables. Au cours des dix à quinze dernières années, nous avons assisté à un changement de tendance dans la recherche universitaire sur l’automatisation. L’entreprise technologique Kiva Systems a été l’un des précurseurs de cette évolution, en mettant au point des systèmes de stockage avec navettes qui ont conduit à de nouvelles méthodes de manutention des marchandises. Les robots sont devenus un sujet de recherche d’actualité. Durant la dernière décennie, nous avons vu une augmentation du nombre d’études sur le comportement dans les entrepôts et sur la manière dont l’humain contribue aux performances opérationnelles.
Quelle est le lien entre l’humain et les performances de l’entrepôt ?
L’une des grandes leçons apprises est que, dans les installations automatisées, la performance des opérations dépend non seulement du système de stockage lui-même, mais aussi de l’intervention humaine. D’ailleurs, son impact dans l’automatisation est devenu un sujet de recherche récurrent. Des études ont montré comment les opérateurs contribuent à améliorer la productivité des entrepôts. Ces résultats ont donné un nouvel élan à la recherche sur d’autres sujets associés tels que la sécurité, l’ergonomie, le bien-être et la satisfaction au travail.
Pour augmenter les performances des entrepôts, il est essentiel d’améliorer non seulement le travail des opérateurs, mais aussi celui des cadres chargés de diriger les processus. En effet, la gestion des talents a un impact direct sur la productivité des employés. Si une entreprise veut augmenter sa productivité, elle doit s’efforcer de tirer le meilleur parti de ses employés et s’assurer qu’ils prennent plaisir à exercer leur métier. À terme, la satisfaction au travail est un indicateur puissant de la performance.
Les entrepôts performants disposent de systèmes de stockage et de manutention optimisés, ainsi que de logiciels de gestion qui contrôlent les processus
Qu’est-ce qui motive l’automatisation des entrepôts ?
L’automatisation est plus facile lorsqu’il y a des contraintes dans l’entrepôt. Pourquoi ? Parce que les contraintes déclenchent l’intérêt pour l’automatisation. Par exemple, si une entreprise a besoin d’accroître ses capacités de stockage et de production, mais qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’espace, elle sera obligée de chercher des solutions pour résoudre cette contrainte. Il en va de même lorsqu’il y a une pénurie de main d’œuvre pour effectuer une tâche, comme c’est le cas pour les entreprises devant fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 mais qui n’ont pas d’opérateurs de nuit, ou celles qui doivent répondre à des pics de demande importants mais qui ont un manque de main d’œuvre. Les contraintes sont donc le moteur de l’automatisation. Les entreprises se tournent aussi souvent vers la robotique lorsqu’elles voient que leurs concurrents décident d’automatiser leurs installations, c’est-à-dire qu’un comportement d’imitation est déclenché.
Comment les entreprises décident-elles qu’il est temps d’automatiser ?
De nombreuses entreprises choisissent de commencer progressivement à automatiser leurs entrepôts. Lorsqu’elles envisagent l’automatisation, elles ont un large choix de solutions qui facilitent le passage à ces technologies. Ainsi, plutôt que d’automatiser entièrement l’ensemble des opérations, il est courant d’automatiser dans un premier temps des opérations spécifiques telles que le picking, à l’aide de robots et de cobots, puis de continuer progressivement avec d’autres processus.
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Comment garantir des livraisons rapides dans un entrepôt de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés ?
Les entrepôts d’aujourd’hui sont de plus en plus grands et peuvent dépasser les 100 000 m². Dans les entrepôts e-commerce, par exemple, des dizaines de milliers de commandes peuvent être préparées chaque jour. Si l’on ajoute à cela l’énorme diversité de produits et le fait que chacun d’entre eux nécessite des conditions de stockage spécifiques, le défi logistique est colossal. Un entrepôt plus grand signifie de plus longues distances à parcourir et donc plus de temps pour préparer et expédier les commandes. Garantir des livraisons rapides dans ces cas est un défi de taille, mais de nombreuses entreprises ont prouvé qu’il est bel et bien possible d’y parvenir grâce à une conception soignée de l’installation.
Les entreprises doivent étudier soigneusement les particularités de leurs produits afin de sélectionner les systèmes de stockage et les logiciels de gestion les plus adaptés, qui garantiront le contrôle des processus. Souvent, un certain degré de mécanisation est combiné avec un plus haut niveau d’automatisation. Par exemple, la méthode du « produit vers l’homme » est très utile dans les grandes installations, car les marchandises sont automatiquement acheminées jusqu’aux postes de picking. Grâce à cette solution et à un poste de picking ergonomique, l’opérateur peut atteindre et maintenir une haute productivité. En bref, pour garantir des livraisons rapides, il faut combiner la bonne conception de l’entrepôt avec la bonne méthode de picking, la bonne gestion des produits, une planification minutieuse du travail et un degré élevé d’automatisation. Si de nombreuses entreprises ont réussi, ce n’est pas un hasard : cela a un coût et demande des efforts.
Outre le volume important de commandes quotidiennes, une autre problématique fréquente pour les acteurs e-commerce sont les retours, notamment dans le prêt-à-porter. En effet, des entreprises telles que Zalando doivent non seulement assurer des livraisons rapides, mais aussi elles doivent adapter leur logistique pour le traitement rapide d’un volume considérable de retours.
Un défi de taille...
Oui, c’est un défi important, plus grand encore que la préparation des commandes. La raison en est que le picking peut être planifiée dans une large mesure, mais que les retours sont moins prévisibles. De plus, si on ne les gère pas aujourd’hui, on en aura davantage demain et, avant même de se rendre compte, il sera impossible de traiter tous les produits retournés. Les retours doivent être soigneusement planifiés et pour cela il est nécessaire de disposer des bons systèmes.
Les entrepôts avancent certainement vers des plus hauts niveaux d’automatisation
Vous considérez que les entrepôts sont essentiels à notre mode de vie.
La logistique est indispensable pour garantir la disponibilité des produits là où les clients le souhaitent, au bon endroit, au bon moment et avec la bonne qualité. Il n’est pas possible d’expédier des marchandises directement d’un fournisseur basé en Chine à un magasin où les clients viennent chercher les articles, car la distance entre le fabricant et le consommateur est longue. Au cours de ce voyage, les marchandises passent par différents entrepôts et quais de chargement. D’ailleurs, le concept de logistique est souvent associé uniquement au transport et aux flux, alors que c’est beaucoup plus complexe. La logistique comprend également le stockage, le contrôle des stocks, les opérations telles que le cross-docking, le regroupement des produits, le chargement des camions, etc. Finalement, le transport n’est qu’une petite partie de la logistique.
Pourquoi les entreprises devraient-elles se soucier de leurs entrepôts ?
Le rôle de la logistique dans les entreprises n’est pas toujours clair pour les PDG et les DAF. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence l’importance de l’organisation des processus logistiques. Par exemple, les acteurs de l’automobile n’ayant pas bien anticipé ni planifié leur logistique n’ont pas été en mesure de répondre à la demande de voitures en raison d’un manque de composants électroniques. Ils n’ont pas anticipé l’approvisionnement, c’est pourquoi d’autres entreprises les ont devancés. Cette problématique peut survenir avec n’importe quel type de produit, quel que soit son prix : comment est-il possible que, au début de la pandémie, il y ait eu une pénurie de masques, un produit dont la production ne coute que quelques centimes ? En effet, le plus petit produit ou composant peut être fondamental pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Donc, les processus logistiques doivent être planifiés en détail afin de répondre aux besoins des clients. Les entreprises capables d’optimiser leurs processus logistiques seront les plus performantes dans leur activité et bénéficieront d’un avantage concurrentiel. Si la logistique est importante, le stockage est la clé : où stocker ses marchandises, comment les expédier rapidement et comment les livrer aux clients sont des aspects essentiels à prendre en compte pour se distinguer de ses concurrents.
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Qu’ont en commun les entrepôts performants ?
Tout d’abord, il existe un certain nombre de contraintes qui peuvent constituer un frein à l’activité si elles ne sont pas prises en compte. Une contrainte peut être corrigée, par exemple, grâce à un système de gestion d’entrepôt capable d’effectuer un contrôle précis des stocks et d’offrir une visibilité de l’emplacement exact de chaque article. Sans un contrôle pratique de l’état et de l’emplacement des stocks, il est impossible d’être performant.
Le deuxième point en commun des entrepôts efficaces est qu’ils sont équipés de systèmes de stockage et de manutention optimaux et qu’ils contrôlent tous les processus à l’aide de logiciels de gestion. Il faut également consacrer du temps à la recherche de systèmes pouvant fonctionner en harmonie, c’est-à-dire des systèmes qui sont efficaces non seulement individuellement, mais aussi qui peuvent être intégrés efficacement dans les processus logistiques.
Enfin, il est essentiel d’avoir un bon leader, quelqu’un qui connaît le rôle des opérateurs et comprend leurs besoins. Autrement dit, un leader transformationnel plutôt que transactionnel. Un leader transformationnel est une personne qui montre l’exemple, qui reconnaît le travail fait par l’effectif, qui est juste et qui stimule intellectuellement son équipe plutôt que la punir. La manière dont les collaborateurs sont traités est fondamentale, surtout dans les secteurs touchés par des pénuries de main-d’œuvre.
Comment voyez-vous l’avenir des entrepôts ?
Je pense que les entrepôts sont certainement en train d’évoluer vers de plus hauts niveaux d’automatisation. Il s’agit d’une tendance inévitable pour plusieurs raisons : la pression des concurrents qui décident de l’adopter, la pénurie de main-d’œuvre et le manque d’espace. La combinaison de ces paramètres mène les entreprises à envisager le développement de l’automatisation dans leurs installations.
Le pari sur la robotique est une réalité même pour les prestataires logistiques, qui doivent s’assurer que leurs systèmes de stockage répondent aux besoins actuels et futurs de leurs clients. Les prestataires 3PL investissent souvent dans la robotique et l’automatisation pour montrer à leurs clients qu’ils ont la capacité de prendre en charge tout type d’opération. L’un des avantages de la robotique est qu’elle permet aux entreprises d’être moins impactées par des problématiques telles que la pénurie de main-d’œuvre. Les robots peuvent fonctionner 24 heures sur 24, même en dehors des heures de travail. L’automatisation est donc une réalité amenée à perdurer.
Quels conseils pouvez-vous donner aux entreprises qui envisagent l’automatisation ?
Différents types d’automatisation sont disponibles sur le marché. Les entreprises peuvent opter pour des solutions de type « produit vers l’homme », comme les systèmes de stockage avec navettes, les robots mobiles autonomes, les véhicules autoguidés pour picking ou encore les transstockeurs. Aussi, de nouvelles méthodes de travail sont de plus en plus populaires avec l’intégration de robots collaboratifs.
Je pense qu’à l’avenir, nous assisterons à un développement de l’automatisation dans tous les types de systèmes. Les solutions pour picking de type « produit vers l’homme » sont une technologie très mature et robuste, susceptible de conduire à la robotisation complète des postes de travail. Une tendance qui se développera assez rapidement. Une autre tendance qui va prendre de l’ampleur sont les technologies de manutention telles que les cobots, les chariots élévateurs automatisés et les petits robots mobiles autonomes. Les entreprises ne souhaitant pas automatiser tous leurs processus peuvent investir progressivement dans des solutions robotiques. Le pari progressif sur ces systèmes automatisés en fait une option intéressante et abordable.