PAR SARA SÁNCHEZ
Chercheuse au Zaragoza Logistics Center (ZLC)
La logistique urbaine joue un rôle clé dans la promotion de villes durables et agréables à vivre. Face aux tendances du développement urbain, il est impératif de concevoir un modèle logistique respectueux de l’environnement tout en encourageant l’innovation dans le domaine de la distribution urbaine.¹ La logistique urbaine est confrontée à de nombreux défis, en raison de la pression exercée pour réduire les embouteillages, le bruit et, surtout, les émissions de gaz à effet de serre. De plus, stimuler l’innovation, en particulier la digitalisation, est un enjeu permanent. La digitalisation de la mobilité est perçue comme la voie vers des systèmes de transport plus efficients.²
Ces dernières années, la digitalisation urbaine s’est imposée comme une solution accroître la capacité et l’efficacité des systèmes de transport et d’énergie, tout en encourageant les initiatives de décarbonisation.³ Elle offre de nombreux avantages à la chaîne d’approvisionnement, tels qu’un meilleur accès à l’information, l’optimisation des pratiques logistiques, la collecte de données en temps réel, une gestion des stocks plus rationnelle et une plus grande transparence.⁴
La digitalisation implique l’utilisation de diverses technologies et plateformes où de grandes quantités de données sont stockées, organisées et gérées. Ces plateformes, appelées data spaces ou espaces de données, facilitent l’accès informations existantes tout en respectant le contrôle de l’utilisation et la vie privée de leurs propriétaires.
Les espaces de données, un atout stratégique
L’espace de données se présente comme un écosystème dans lequel divers acteurs partagent des informations de manière volontaire et sécurisée. Encadrés par des mécanismes communs de gouvernance, d’organisation, de réglementation et de technique, ces échanges garantissent la confiance et la souveraineté des participants sur leurs données. C’est ainsi qu’un échange d’égal à égal est possible, où chaque utilisateur conserve le contrôle de ses informations et définit les conditions de leur utilisation.
Les données constituent un atout majeur dans le cadre de la stratégie européenne pour une mobilité intelligente et durable. L’Union européenne encourage le développement d’espaces de données afin d’impacter positivement le secteur et d’évoluer vers un système de transport plus fonctionnel, plus sûr et plus respectueux de l’environnement.
Vers une logistique urbaine optimisée
Dans le contexte de la logistique urbaine, l’espace de données devient un environnement numérique dédié à la gestion et au stockage des informations relatives aux opérations logistiques. L’intégration des technologies numériques permet d’en améliorer l’efficacité et la visibilité. De nombreux projets européens se sont déjà penchés sur son utilisation dans ce domaine.
L’un de ces projets est DISCO, pour distribution urbaine de marchandises pilotée par les données, intégrée, synchronisée, collaborative et optimisée. Son objectif est de créer une nouvelle génération de logistique urbaine grâce à l’échange de données au sein des laboratoires européens d’innovation numérique.
DISCO vise à faciliter la transition vers des villes décarbonées et numériques. Il propose des cadres et des outils pour y parvenir, et ambitionne de changer le paradigme de la logistique et de la planification urbaine en s’appuyant sur l’Internet physique (PI en anglais). L’optimisation de l’espace urbain, qui implique l’intégration du transport urbain de marchandises dans un réseau de réseaux, repose sur utilisation efficace des infrastructures fixes et mobiles, en exploitant les terrains et ressources sous-utilisés. Pour atteindre cet objectif, quatre points de basculement sont identifiés :
- Améliorer la visibilité de bout en bout de la chaîne d’approvisionnement.
- Créer un écosystème commun de nuages urbains qui garantisse la fiabilité et la protection des données.
- Accompagner les villes dans la mise en œuvre d’une planification durable de la logistique urbaine.
- Accélérer l’adoption et la reproduction de modèles d’entreprise innovants basés sur des principes participatifs.
Déploiement du projet DISCO
Les espaces de données dédiés au transport urbain de marchandises, au cœur du projet DISCO, s’articulent autour d’un ensemble de métamodèles favorisant l’interopérabilité sémantique entre les systèmes de gestion de données à différents niveaux. L’échange coordonné de données provenant de sources commerciales, privées et ouvertes est ainsi rendu possible.
L’ensemble de métamodèles DISCO-X se compose de cinq modèles distincts :
- DISCOCURB. Utilisation mixte et gestion dynamique de l’espace public, optimisant l’utilisant intelligente et flexible des trottoirs, par exemple des zones de chargement ou de stationnement grâce à des analyses avancées et des jumeaux numériques.
- DISCOPROXI. Plateforme urbaine de proximité ou casier urbains pour les livraisons du dernier kilomètre et omnicanal, optimisant les livraisons et les ramassages en centre-ville avec des véhicules à faibles émissions, tels que les vélos cargo.
- DISCOESTATE. Espaces polyvalents et temporaires dans des bâtiments adaptés pour améliorer la fiabilité des livraisons B2B/B2C.
- DISCOBAY. Docks ou plateformes multimodales de livraison du dernier kilomètres, par exemple par voie ferrée ou fluviale, pour une meilleure empreinte carbone.
- DISCOLLECTION. Collecte intelligente de données pour un contrôle d’accès avancé et une gestion des itinéraires en temps réel.
DISCO encourage une collaboration horizontale entre les villes, favorisant l’apprentissage mutuel et la comparaison des défis rencontrées. En matière d’espaces de données pour la logistique urbaine, certaines villes pionnières comme Copenhague, Gand, Thessalonique et Helsinki partagent leurs expériences et inspirent d’autres villes comme Padoue, Barcelone, Valence ou Saragosse à reproduire leurs modèles.
Copenhague : données des prestataires de services logistiques
La ville de Copenhague collecte et exploite des données en temps réel auprès des prestataires de services logistiques pour une meilleure visibilité de la chaîne d’approvisionnement et une optimisation des livraisons. Elle développe un outil innovant de gestion dynamique de l’espace urbain, présenté comme un exemple de réussite à petite échelle pour une utilisation flexible et efficace des trottoirs (zones de chargement/déchargement, stationnement). De plus, elle élabore un nouveau modèle économique durable pour un centre de consolidation ouvert dans la ville, grâce à des installations pour le transport intelligent de marchandises.
Gand : contrôle d’accès dynamique
La ville belge encourage la coopération public-privé pour mettre en place des communications dynamiques et automatisées, et ainsi encourager des livraisons du dernier kilomètre efficaces et sans émissions. Elle consacre du temps à la mise à niveau et à l’amélioration du contrôle d’accès dynamique (DAC), qui optimise les communications pour promouvoir les itinéraires durables pour les véhicules de transport de marchandises, et réduire la congestion urbaine. Par exemple, elles proposent des modes de transport alternatifs, tels que les vélos cargo et les barges fluviales urbaines, pour des livraisons plus écologiques dans des centres spécifiques.
Thessalonique : des centres logistiques dans des installations sous-exploitées
Thessalonique met à disposition des centres logistiques temporaires dans des bâtiments sous-utilisés pour maximiser l’utilisation des ressources et réduire les coûts. L’initiative repose sur la collecte intelligente de données via des capteurs en bord de route qui améliore la compréhension des flux de marchandises et optimise le transport de fret sans émissions. La ville grecque développe des modèles et des services économiques innovants et espère enrichir sa plateforme WareM&O (Warehouse as a Service) avec la blockchain, avec un algorithme de tarification équitable pour faciliter les collaborations entre acteur dans le WaaS.
En outre, elle travaille sur l’exploitation multifonctionnelle de bâtiments stratégiquement implantés dans le centre d’exposition TIF HELEXPO en tant que plateforme logistique urbaine, en dehors des périodes d’événements, grâce à des outils intelligents et à des solutions écologiques pour le dernier kilomètre.
Helsinki : zones à faibles émissions
Dans la capitale finlandaise, des microhubs ou petits centres logistiques multifonctionnel, flexibles et polyvalents ont été créés pour encourager le transport de marchandises à zéro émission. Cette initiative vise à réduire la pollution atmosphérique et à améliorer la qualité de l’air en ville. Un système de gestion dynamique des trottoirs est en cours de déploiement. Il permettra d’optimiser l’utilisation des zones de chargement et de déchargement en fonction des besoins en temps réel. De plus, une zone à faible émission sera simulée afin de tester et d’affiner des solutions de transport durables et innovantes.
La ville développe également un nouveau modèle économique qui permettra aux entreprises de mieux s’intégrer dans le réseau de microhubs. Ils seront installés dans des zones urbaines sous-exploitées, ce qui contribuera à revitaliser ces quartiers et à créer des synergies économiques locales. Ces espaces profiteront de nombreux avantages aux citoyens et à l’économie locale, en partageant des scooters et des vélos électriques, des stations de recharge, des services d’entretien et de stockage pour ces véhicules, ainsi que des casiers de retrait. Cette initiative devrait également améliorer la qualité du service de livraison en ville. Les résultats du projet pilote d’Helsinki sont attendus avec impatience et devraient permettre d’évaluer l’impact positif de ces mesures sur la pollution atmosphérique, la qualité du service de livraison et l’économie locale.
Autres villes derrière le dernier kilomètre vert
En Espagne, Barcelone, Valence et Saragosse s’associent pour promouvoir un réseau B2C et B2B pour le commerce local du dernier kilomètre en valorisant les microhubs dans les zones sous-utilisées, la modélisation prédictive et les véhicules à zéro émission.
- Barcelone. La ville élabore un système de gestion innovant des places de stationnement pour les opérations en bordure de trottoir. Ainsi, des places sont attribuées aux demandes entrantes pendant une période donnée en fonction de la taille des véhicules. Barcelone applique également des modèles dynamiques de transfert de marchandises et des solutions avancées d’analyse de données qui soutiennent l’efficacité des solutions logistiques, en optimisant les flux de marchandises grâce à des capteurs intelligents installés dans les parkings de chargement et de déchargement pour la collecte de données en temps réel.
- Valence. La ville étudie l’utilisation de microhubsdans des espaces sous-utilisés, desservant le B2B/B2C et opérant avec des flottes unifiées de véhicules 100 % électriques et à zéro émission. En outre, Valence travaille sur l’identification et l’intégration de zones inexploitées et de terrains publics disponibles pour créer une carte élargie des espaces potentiellement disponibles comme hubs de consolidation.
- Saragosse. Un modèle de collaboration entre un prestataire du dernier kilomètre et la municipale est en cours d’établissement pour identifier un espace sous-utilisé et y installer un microhub logistique équipé de bornes de recharge électrique. Elle cherche aussi à mettre en place des services logistiques basés sur les données pour soutenir les initiatives locales et le transport de marchandises durable, en mettant en œuvre des innovations numériques avec une utilisation intensive des données.
Barcelone, Valence et Saragosse promeuvent des modèles économiques avancés pour de nouveaux schémas logistiques urbains. Ces modèles s’appuient sur le centre-ville et les zones périurbaines, et offrent des solutions fiables pour les clients B2C et B2B. Les villes cartographient les micro-centres sous-utilisés pour une gestion just-in-time des livraisons ce qui réduit les distances parcourues et améliore l’efficacité du transport de marchandises. En favorisant les liens économiques locaux et l’implication des citoyens, ces modèles contribuent à la création de nouveaux modèles et à l’innovation sociale. Les terrains vacants publics et privés peuvent donc être transformés en centres de consolidation, dynamisant les quartiers et créant de nouvelles opportunités.
Les data spaces sont la voie vers une logistique connectée où tous les acteurs échangent des informations de manière sûre et fiable. Le projet DISCO en est un exemple concret et ouvre la voie à de nouveaux projets logistiques plus durables et efficients.
La Dr Sara Sánchez est chercheuse au sein du Programme International de Logistique MIT-Zaragoza. Elle a débuté sa carrière professionnelle à l’Institut de recherche en ingénierie d’Aragon (I3A) en tant qu’ingénieure de recherche en mobilité durable. Elle possède également une vaste expérience au sein d’entreprises internationales de transport et de logistique, où elle a mené des projets stratégiques dans différents pays d’Europe ainsi que des implantations logistiques nationales et internationales.
Références
- He, Zhangyuan, and Hans-Dietrich Haasis. 2020. A Theoretical Research Framework of Future Sustainable Urban Freight Transport for Smart Cities. Sustainability 12 (5): 1975.
- Noussan, Michel, Manfred Hafner, and Simone Tagliapietra. 2020. The Future of Transport between Digitalization and Decarbonization. SpringerBriefs in Energy. Cham: Springer International Publishing.
- Canzler, Weert, and Andreas Knie. 2016. Mobility in the Age of Digital Modernity: Why the Private Car Is Losing Its Significance, Intermodal Transport Is Winning and Why Digitalisation Is the Key. Applied Mobilities 1 (1): 56–67.
- Bigliardi, Barbara, Serena Filippelli, Alberto Petroni, and Leonardo Tagliente. 2022. The Digitalization of Supply Chain: A Review. Procedia Computer Science 200: 1806–15.
- Laborda, Josep, Eglantina Dani, Luke Bates, Jim Ahtes, and Rizkallah Touma. Unlocking the Future of Mobility with European Data Spaces. EIT Urban Mobility, Factual Consulting, I2CAT Foundation. November 7, 2023.
- DISCO - Upscaling a New Generation of Urban Logistics. n.d. DISCO.