DOSSIER LOGISTIQUE
Les clients utilisent plusieurs canaux au cours de leur parcours d’achat et s’attendent à vivre une expérience la plus satisfaisante possible, qu’il s’agisse d’achats en ligne, en magasin ou d’une combinaison des deux. Cette fusion des canaux, communément appelée « expérience omnicanale », transforme le monde de la logistique et du stockage.
Comment les entreprises peuvent-elles améliorer l’expérience omnicanale de leurs clients tout en assurant des livraisons rapides des produits ? Selon Joachim Kembro, professeur associé et directeur du master en logistique et gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’université de Lund, en Suède, l’un des moyens d’améliorer l’omnicanalité repose sur la configuration des entrepôts. Les résultats de ses dernières recherches, publiés dans la revue scientifique International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, montrent comment la configuration des entrepôts peuvent aider les entreprises de retail à améliorer leur stratégie omnicanale.
« L’essor du e-commerce remet en question la manière traditionnelle de configurer les entrepôts. Par rapport aux autres centres de distribution, les entrepôts omnicanaux doivent être conçus pour combiner efficacement différents types de flux afin d’expédier les marchandises aux magasins physiques et aux clients en ligne », explique Joakim Kembro. « Aujourd’hui plus que jamais, l’entrepôt d’un détaillant omnicanal joue un rôle stratégique pour répondre aux demandes des clients et assurer une distribution rapide des marchandises. »
La configuration d’un entrepôt pour la réussite d’une stratégie omnicanale est une tâche complexe : les responsables logistiques doivent tenir compte de multiples contraintes. Par exemple, alors que le réapprovisionnement des magasins est souvent planifié et comprend de grands volumes de marchandises, les achats des clients en ligne représentent généralement des petites commandes avec peu de produits et leur demande est très variable. La combinaison de ces deux besoins logistiques soulève différentes problématiques : les détaillants ayant une stratégie omnicanale doivent-ils combiner l’expédition des commandes vers les magasins physiques avec les commandes en ligne dans un seul entrepôt ou séparer les deux opérations ? Quand est-il recommandé pour les e-commerces d’équiper leurs entrepôts de solutions automatisées et quel type de système installer ? Il n’y a pas de réponse. La solution idéale dépend du type de commerce électronique, du contexte et des besoins du client.
Dans le retail omnicanal, les entrepôts jouent un rôle stratégique pour répondre aux demandes des clients et assurer une distribution rapide des marchandises
« Quand nous avons commencé à étudier le commerce omnicanal, nous avons remarqué que les retailers avaient des approches différentes lors de la conception de leurs entrepôts », explique Joakim Kembro. « Par exemple, certaines entreprises ont intégré les commandes en ligne et en magasin dans un seul entrepôt, tandis que d’autres ont choisi de les séparer en fonction de leur destination. Dans le même temps, certaines entreprises ont massivement investi dans l’automatisation, alors que d’autres ont opté pour des technologies plus spécifiques pour répondre à leurs besoins. Mais, quelle que soit la configuration de l’entrepôt choisie, nous avons constaté que toutes les entreprises ont pris ces décisions avec des connaissances et recherches limitées sur le sujet », souligne cet expert.
Sur la base de ces résultats, Joakim Kembro et son co-auteur, Andreas Norman, ont entrepris de démontrer comment la configuration des entrepôts peut déterminer le succès de l’omnicanalité. Les chercheurs ont mené une étude auprès de six grands retailers issus de différents secteurs tels que la mode, l’électronique grand public et les matériaux de construction. Les entreprises analysées comptent parmi les plus grands retailers de Suède et constituent une référence en matière de logistique omnicanale.
Après avoir visité les entrepôts pour en connaître l’agencement et le fonctionnement, et après avoir interrogé les responsables de la logistique, les auteurs ont procédé à une analyse des données pour comprendre comment la configuration des entrepôts pouvait améliorer l’expérience d’achat omnicanale.
Les cas examinés ont révélé différents contextes logistiques : des entrepôts avec des produits de faible et de forte valeur, des marchandises volumineuses ou de petite taille, peu ou beaucoup de références, et des expéditions nationales ou internationales.
Entrepôts omnicanaux : quelle est la configuration idéale ?
Dans leur étude, les chercheurs dévoilent comment les facteurs contextuels peuvent influencer les choix de configuration des entrepôts et pourquoi ils sont importants lors de la définition d’une stratégie omnicanale. D’après les résultats de l’étude, les logisticiens doivent tenir compte de quatre facteurs lors de la conception d’un entrepôt omnicanal : le nombre de références (SKU), le temps de préparation d’une commande, le nombre total de commandes et la taille des marchandises.
« La tendance du commerce omnicanal vise à réduire le temps de préparation des commandes en ligne, tout en augmentant le nombre et le type de références. Ces facteurs fondamentaux revêtent encore plus d’importance lors de la conception d’entrepôts omnicanaux », déclare Joakim Kembro.
En fonction des caractéristiques des quatre facteurs clés, la configuration d’un entrepôt omnicanal peut être plus ou moins complexe. « S’il y a peu de différences dans la taille des marchandises et dans les caractéristiques des commandes, il est plus facile d’adapter la conception de l’entrepôt. Mais dès que vous ajoutez des variations dans les types de commandes (par exemple, en combinant des commandes en ligne avec des expéditions vers des magasins physiques) il est nécessaire de consacrer davantage de ressources pour trouver la bonne configuration », explique Joakim Kembro.
Les facteurs les plus influents pour la configuration d’un entrepôt omnicanal sont le volume total de produits de la gamme, le temps de préparation des commandes, le nombre total de commandes et la taille des marchandises
L’étude suggère également d’autres facteurs à prendre en compte lors de la conception d’un entrepôt omnicanal : la standardisation des emballages, la séparation entre les commandes de réapprovisionnement et celles en ligne, le type de commandes préparées (single-unit ou multi-unit), la taille des commandes en magasin physique et la proportion de commandes composées d’un seul article par rapport aux commandes click and collect (retrait en magasin). « La combinaison d’importants flux de réapprovisionnement des magasins et l’essor du e-commerce rendent ces facteurs tout aussi essentiels pour les détaillants omnicanaux », concluent les auteurs.
Gérer les compromis en conception d’entrepôt
« Notre étude révèle que pour certains détaillants, seuls certains facteurs sont déterminants, alors que pour d’autres, presque tous les éléments sont primordiaux et pourraient orienter les décisions dans des directions complètement différentes », explique Joakim Kembro. « Dans le retail, les configurations qui augmentent la vitesse des flux de marchandises peuvent être cruciales, tandis que d’autres secteurs peuvent préférer des configurations qui favorisent les économies d’échelle, facilitent l’exécution de tâches complexes ou augmentent la flexibilité pour gérer l’incertitude de la demande ».
Avec cette analyse, les auteurs montrent que la complexité de l’entrepôt augmente d’autant plus que l’écart entre les commandes pour magasins physiques et les commandes en ligne se creuse. Il en est de même pour les produits : plus il y a de SKU, et plus elles sont variées, plus la configuration des entrepôts devient complexe. « Un entrepôt où les produits et les emballages sont de taille standard, comme dans le secteur de la mode, peut opter pour des configurations plus optimisées. En revanche, les détaillants ayant un nombre élevé de SKU peuvent avoir besoin de mettre en œuvre diverses méthodes et zones de préparation de commandes équipées de solutions automatisées », explique Joakim Kembro.
Face à une demande imprévisible, les e-commerces peuvent tirer profit de l’automatisation de la préparation des commandes, tant pour le magasin que pour la vente en ligne
Des solutions automatisées pour gagner en flexibilité
Pour les entreprises confrontées à des dynamiques de marché changeantes et à l’incertitude de la demande, les auteurs de l’étude recommandent de se concentrer sur la flexibilité de l’entrepôt. Pour ce faire, l’entrepôt doit être configuré de façon à augmenter ou diminuer la capacité de stockage en fonction des besoins. « La configuration des entrepôts est influencée par les changements hebdomadaires de la demande et les pics saisonniers tels que le Black Friday, où les e-commerces peuvent soudainement connaître une augmentation de 500 % de la demande », indique l’expert.
Dans les scénarios d’incertitude de la demande, l’automatisation peut faire la différence. Les entreprises de commerce électronique confrontées à des pics de demande élevés peuvent bénéficier de solutions automatisées pour préparer les commandes, tant pour le magasin physique que pour la vente en ligne. La question n’est plus de savoir s’il faut automatiser, mais comment automatiser », explique Joakim Kembro. « Les nouvelles technologies associées à l’intelligence artificielle changent les règles du jeu et apportent des solutions flexibles qui étaient impensables par le passé. Il y a quelques années, seules quelques entreprises étaient pionnières en matière d’automatisation. Aujourd’hui, dans le secteur du retail, les grandes et moyennes entreprises misent sur l’automatisation et en font une priorité. Leur objectif est de trouver des solutions permettant de raccourcir les délais d’exécution et de fabrication, de gagner en flexibilité et de minimiser les erreurs ».
La cadence dans l’entrepôt
Les entreprises qui souhaitent accélérer les flux simplifient souvent leurs processus logistiques, en éliminant les étapes répétitives et les potentiels goulots d’étranglement. « Une solution pour gagner en rapidité dans les opérations logistiques est de stocker tous les produits au même endroit, qu’ils soient destinés au magasin physique ou à la vente en ligne. De cette manière, les SKU sont toujours disponibles au même endroit et les articles n’ont pas besoin d’être déplacés vers une zone de stockage séparée », explique Joakim Kembro. « Une autre solution intéressante pour augmenter la productivité dans l’entrepôt et libérer de l’espace est l’installation de systèmes automatisés à haut rendement combinés au cross-docking ».
Selon Joakim Kembro, l’élimination des étapes répétitives peut également contribuer à optimiser l’espace de l’entrepôt. « En regroupant tous les articles dans un seul et même endroit, en automatisant certaines opérations et en travaillant en cross-docking, il est possible de libérer de l’espace de stockage dans l’installation ».
Optimiser la configuration d’un entrepôt : une question d’équilibre
Configurer l’entrepôt de façon à garantir la réussite d’une stratégie omnicanale est une question d’équilibre. Plus les défis à relever dans un entrepôt omnicanal sont nombreux, plus les décisions de conception deviennent complexes.
C’est pourquoi les auteurs mettent en garde : « S’il est bon de comparer, il peut être dangereux de mettre en œuvre les solutions d’autres entrepôts en pensant que si l’activité est similaire, votre solution fonctionnera également. Il est très important de comprendre le contexte et de consacrer du temps dans la conception et la planification de l’entrepôt ».
« Si les détaillants pouvaient s’inspirer directement de l’expérience d’autres entreprises et voir comment elles ont configuré leurs entrepôts pour faire face à différentes situations, ils pourraient plus facilement définir une stratégie omnicanale efficace. Nous espérons que nos recherches poseront les premiers jalons d’une possible voie à suivre », concluent les chercheurs.
Étude originale : Kembro, J.H. and Norman, A. (2021), "Which future path to pick? A contingency approach to omnichannel warehouse configuration." International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, Vol. 51 No. 1, pp. 48-75.
Lien vers l'article original (en accès libre) : https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/IJPDLM-08-2019-0264/full/html