PAR SUSANA VAL
Directrice du Zaragoza Logistics Center
Dans le domaine de la logistique et du transport, le concept de « dernier kilomètre » fait référence à l’étape finale de la chaîne d’approvisionnement dans laquelle les marchandises sont acheminées vers la destination choisie par le client. C’est une étape déterminante de la logistique e-commerce, car elle a un impact direct sur les coûts et la satisfaction des clients.
Le dernier kilomètre est un défi majeur pour toutes les entreprises, car les marchandises peuvent rencontrer de nombreux obstacles sur le chemin du point de livraison. Certains obstacles sont liés au transport lui-même et d’autres au type de produit à livrer. Aujourd’hui, des tendances telles que l’essor du e-commerce ont davantage complexifié la bonne réalisation du dernier kilomètre.
Les défis du dernier kilomètre
La livraison urbaine des marchandises, ou dernier kilomètre, est la partie la plus critique de la chaîne d’approvisionnement, car elle doit relever un certain nombre de défis :
- Durabilité, compte tenu des accords du Green Deal de la Commission européenne. En France, par exemple, d’ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir mis en place une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
- L’intégration à la mobilité urbaine, pour laquelle les villes élaborent des plans de mobilité urbaine durable.
- Les réglementations gouvernementales relatives aux véhicules de transport de marchandises, qui limitent l’accès aux villes en fonction d’un poids maximal. Les règles varient en fonction du type de route, du véhicule ou du fuseau horaire.
- Les habitudes de consommation, qui ont été transformées par l’essor du e-commerce résultant de la pandémie de COVID-19. Les expéditions B2C (business-to-consumer) ont continué à croître et les expéditions B2B (business-to-business) sont restées stables. En conséquence, les prestataires logistiques ont été contraints de revoir leurs processus, en commençant par le dernier kilomètre, et de s’appuyer sur les dernières technologies pour améliorer la gestion des stocks et de la flotte.
En ce qui concerne ce dernier point, le boom du e-commerce a accéléré la croissance du transport du dernier kilomètre dans le monde entier. La France, par exemple, est le troisième pays européen qui réalise le plus de ventes en ligne, avec un chiffre d’affaires de 129 milliards de dollars. En 2021, pendant la pandémie de COVID-19, 80 % des internautes français ont déclaré faire des achats en ligne. La même année, le commerce électronique européen a augmenté de 13 % pour atteindre 730 milliards de dollars. L’augmentation des ventes en ligne a entraîné une croissance ininterrompue des livraisons du dernier kilomètre.
Pour relever tous ces défis, les entreprises mettent en œuvre des solutions technologiques et des infrastructures logistiques innovantes afin de livrer les commandes dans les plus brefs délais, au plus bas coût possible et de manière efficace. Les solutions de pointe pour le dernier kilomètre combinent des processus de gestion d’importants volumes de données avec des algorithmes de routage, des capteurs, l’intelligence artificielle et des carburants alternatifs. Ces solutions comprennent à la fois des véhicules électriques (à 2 et 3 roues, scooters électriques, etc.), des véhicules non polluants et de nouveaux hubs ou petits entrepôts dans les zones urbaines, qui facilitent la consolidation des commandes et la gestion du transport du dernier kilomètre.
Les casiers connectés ou intelligents apparaissent comme une solution qui associe la technologie et l’infrastructure. C’est un espace de stockage destiné aux clients finaux qui facilite la livraison des commandes pour toutes les parties prenantes.
Qu’est-ce qu’un casier connecté, ou 'locker' ?
Les casiers intelligents, aussi appelés lockers sont des compartiments dans lesquels les e-acheteurs peuvent facilement récupérer ou retourner leurs colis, sans avoir à prendre rendez-vous. Cette solution limite l’impact environnemental du dernier kilomètre dans les villes en réduisant le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules de transport. Les casiers connectés sont également utiles pour les charges consolidées, optimisant ainsi l’espace du camion.
Les casiers connectés simplifient le processus de livraison du dernier kilomètre pour les prestataires de services 3PL en réduisant le nombre de déplacements lorsqu’un client n’est pas chez lui. La livraison des commandes dans des casiers connectés permet aux prestataires logistiques d’économiser de l’argent et présente également des avantages pour les clients : ils disposent de suffisamment de temps pour récupérer les marchandises, d’autant que les casiers sont généralement situés à proximité de leur domicile.
Les casiers fonctionnent souvent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui offre une flexibilité totale pour la collecte et la livraison des commandes. Aujourd’hui, les casiers connectés servent également pour d’autres usages, comme par exemple stocker temporairement des biens ou faciliter l’échange de biens entre personnes. Les lockers peuvent réduire le coût des livraisons à domicile, car ils sont souvent situés dans des lieux centraux tels que des magasins, des bureaux ou à proximité de zones résidentielles. L’un des avantages de ces casiers est qu’ils sont personnalisables pour gérer toutes les informations depuis le cloud, facilitant ainsi le retrait colis (Kum Fai Y. et al, 2019).
Les lockers peuvent réduire le coût des livraisons à domicile, car ils sont souvent situés dans des lieux centraux tels que des magasins, des bureaux ou à proximité de zones résidentielles
Essai pilote de casiers connectés dans la livraison du dernier kilomètre
Les casiers connectés, utilisés depuis des années dans le secteur privé, ont également été adoptés par les gouvernements comme solution d’optimisation de la mobilité et du transport urbain. Dans le cadre du programme Horizon 2020, l’Union européenne a encouragé leur mise en œuvre à travers des projets pionniers dans différents pays européens. En Espagne et en Italie, par exemple, deux applications de casiers numériques ont été développées, qui pourraient améliorer la mobilité dans les villes :
- Essai 1 : mise en place de lockers dans les stations de métro, afin que les passagers en transit bénéficient de la livraison des commandes du dernier kilomètre.
- Essai 2 : des casiers connectés pour promouvoir l’inclusion dans les zones rurales, en offrant des services aux personnes âgées et aux étrangers dans la communauté.
➤ Essai pilote 1 : Déploiement de casiers connectés dans les stations de métro
Ce projet pilote, réalisé à Valence (Espagne), a été conçu dans le cadre du projet européen SPROUT. Des casiers connectés ont été placés dans les stations de métro afin que les passagers puissent récupérer leurs commandes sur le chemin de leur destination, au lieu de les recevoir chez eux. Les lockers installés dans les stations de métro réduisent le nombre de voyages effectués par les transporteurs, car ils peuvent livrer un grand nombre de colis à un seul arrêt.
À Valence, le service de consigne connectée était déjà disponible dans des lieux privés comme les stations-service, les supermarchés et les immeubles résidentiels, mais pas dans les espaces publics comme les stations de métro. Pour choisir l’endroit où installer les casiers, on a tenu compte des préférences des utilisateurs potentiels et d’autres critères techniques tels que l’alimentation électrique, la couverture wifi ou le champ de vision des caméras de sécurité dans la station de métro.
L’étude a montré que les casiers connectés amélioraient la mobilité à Valence, tout en contribuant à réduire les embouteillages et donc les émissions de gaz à effet de serre. En particulier, ils ont encouragé le choix de la consigne connectée de la station de métro comme point de collecte des colis, réduisant ainsi le nombre de véhicules de transport du dernier kilomètre dans la ville.
Le service de casier connecté mis en place dans le métro fonctionnait comme suit :
- Tout usager (métro ou non) pouvait s’inscrire pour retirer ses colis via le site internet de la société fournissant le service.
- Lorsqu’un utilisateur s’inscrivait, il pouvait choisir le locker où retirer ses commandes.
- Pour les achats en ligne dans les magasins partenaires, l’utilisateur pouvait choisir de retirer sa commande au casier connecté.
- Une fois le colis disponible dans le casier connecté, l’utilisateur recevait un code-barres par SMS, par courriel ou via une application qui lui permettait d’ouvrir le casier.
- L’acheteur ouvrait le locker et récupérait son colis en scannant ou rentrant le code-barres.
Le projet pilote a permis de recueillir des données précieuses, comme le nombre moyen de kilomètres parcourus par un colis jusqu’à sa livraison. En livrant à un seul point de collecte, à la station de métro plutôt qu’au domicile du client, les économies en kilomètres parcourus ont été substantielles.
Sur la base des données extraites, il a été estimé que les véhicules de livraison de colis du dernier kilomètre avaient un facteur d’émission moyen de 0,254 kg de CO2/km et parcouraient une distance moyenne de 2,5 km par colis. Pour les deux casiers connectés installés dans des stations de métro, les économies d’émissions de gaz à effet de serre ont été respectivement de 48,26 kg CO2 et 117,47 kg CO2. Globalement, les économies d’émissions de gaz à effet de serre réalisées par locker en un an (traitement de 6 200 colis/an) ont été d’environ 3 937 kg de CO2.
➤ Essai pilote 2 : Des lockers pour promouvoir l’inclusion dans les zones rurales
Le deuxième projet pilote de casiers connectés a été réalisé dans le cadre d’INDIMO, un projet européen qui vise à faire en sorte que l’ensemble de la population puisse bénéficier de services de mobilité numérique. Ce projet pilote consistait à installer des casiers connectés dans une zone rurale de Bologne (Italie) dans le but d’améliorer l’inclusion et d’étendre divers services aux personnes âgées et aux étrangers de la communauté. Situées loin des centres urbains, les populations rurales n’ont pas accès aux mêmes services que les citadins. La promotion de l’utilisation des casiers connectés peut améliorer considérablement le niveau de service dans ces zones.
Le casier connecté de ce projet pilote a été mis en œuvre pour les livraisons de colis et de courrier, ainsi que pour le paiement de factures et le rechargement de cartes téléphoniques prépayées.
Le vieillissement de la population est un fait à Bologne : en 2018, 24,4 % des résidents étaient âgés de 65 ans et plus (247 800 personnes). Dans le même temps, le pourcentage de la population étrangère a considérablement augmenté. La commune sélectionnée pour piloter le projet a été Monghidoro, une municipalité rurale située à 40 km du centre de Bologne, avec une population totale de 3 702 habitants et une densité de population de 76,4 habitants/km².
Plusieurs indicateurs ont été collectés dans la municipalité pour mesurer le niveau d’inclusion. Les résultats ont montré que 16 % de la population n’avait accès aucun service à moins de 30 minutes de marche, que 28,5 % n’avaient jamais utilisé d’ordinateur et que 67 % étaient exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.
L’objectif du projet pilote était d’introduire le commerce électronique et la numérisation auprès d’un groupe de population généralement exclu de ces améliorations en raison de leur situation géographique. Comment ? Grâce à un modèle de casier connecté déjà utilisé dans les zones urbaines. Autrement dit, ce projet visait à atteindre les citoyens qui, pour diverses raisons, ne pouvaient pas accéder aux mêmes services que les citadins. La cible de l’étude comprenait les personnes âgées, les étrangers et les personnes ayant un faible niveau économique, éducatif et de culture numérique.
Le casier connecté installé dans cette zone rurale offrait de multiples services aux utilisateurs : envoi et collecte de colis, paiement de factures postales et rechargement de cartes téléphoniques prépayées. Les utilisateurs pouvaient accéder au casier par le biais d’une application installée sur leurs appareils mobiles (smartphone ou tablette). Il est important de noter qu’un tel casier n’avait jamais été testé dans les zones rurales auparavant. Jusqu’alors, il n’avait été placé que dans des bâtiments privés en zone urbaine.
Les principaux défis rencontrés par l’étude dans la mise en œuvre des casiers connectés sont le manque de familiarité avec les nouvelles technologies et le faible niveau de numérisation de la population, ainsi que la pénurie de services de transport public dans la région. Avec l’installation du casier, l’objectif était d’augmenter le nombre et l’accessibilité à des services de base et au commerce électronique.
Comment fonctionnent les casiers connectés ?
L’écran d’accueil de l’application reliée au casier numérique décrivait les fonctionnalités de base : collecte et envoi de colis (e-commerce et consommateurs), collecte de courrier suivi, gestion des paiements et administration des casiers pour les biens personnels.
Les principales opérations sont résumées ci-dessous :
- Dans le cas de la collecte de colis, les destinataires ont reçu les informations relatives à l’expédition directement sur l’application de l’entreprise de messagerie, notamment la notification de l’arrivée de leur colis et le code QR nécessaire pour le récupérer. Ensuite, ils devaient uniquement scanner le code QR pour ouvrir le casier contenant leur colis.
- Pour les livraisons de colis, les utilisateurs accèdent à la fonctionnalité via un code QR. Après avoir rempli les informations relatives à l’envoi, les utilisateurs plaçaient le colis dans le casier et recevaient ensuite un courriel de confirmation de l’envoi.
- Dans le cas de la réception d’un courrier suivi avec signature (par exemple, une lettre recommandée nécessitant un accusé de réception), les destinataires étaient invités, via une notification dans l’application du transporteur, à accepter le courrier contre une signature électronique avant de pouvoir visualiser le code QR avec lequel récupérer les documents. La signature électronique équivaut à une signature manuscrite, et garantit l’authenticité, l’intégrité et la validité juridique du document. Pour recevoir les courriers suivis, les utilisateurs devaient confirmer leur identité numérique.
- Pour réaliser un paiement, les utilisateurs se connectaient au locker et pouvaient ainsi accéder à la fonctionnalité via un code QR. Une fois dans le système, ils choisissaient la transaction à effectuer en utilisant les applications correspondantes. Les méthodes de paiement peuvent être par carte ou en espèces. Enfin, une confirmation du paiement par courrier électronique était envoyée.
La docteure Susana Val est directrice du Zaragoza Logistics Center (ZLC). Elle est également professeur associé de recherche dans le programme de logistique internationale du MIT-ZLC, chercheuse au centre de transport et de logistique du MIT et chercheuse en chef du Groupe de Recherche sur le Transport.